Martin Roy, Le Droit

CHRONIQUE / Dis-moi, Michel, ça fera une différence dans ta vie, cette nouvelle maison des sourds à Gatineau?

Dès que l’interprète lui a traduit ma question en langue des signes, Michel Portelance s’est mis à gesticuler à toute vitesse. Je n’ai pas eu besoin de l’interprète pour comprendre sa réponse. Ses gestes disaient tout. Si ça fera une différence? Mets-en.

Alors voilà, Gatineau aura sa maison des sourds, la deuxième au Québec après celle de la rue Crémazie à Montréal. La version gatinoise s’inspire d’ailleurs de sa consœur montréalaise. Le bâtiment de 5,3 millions comprendra 18 logements abordables équipés d’alarmes lumineuses et de caméras. Des services pour les malentendants y seront à portée de main, puisque l’Association de l’ouïe de l’Outaouais (ADOO) s’installera au sous-sol.

La construction a déjà débuté sur un terrain acquis à cette fin sur la rue du Sommet, dans le secteur des Hautes-Plaines. Pour Michel, sourd de naissance, incapable de lire sur les lèvres, et pour qui lire ou écrire relève de l’exploit, l’apparition de cette maison des sourds à Gatineau est une bénédiction.

La perspective d’y aménager se compare presque à obtenir une place au paradis. J’exagère, mais à peine. La liste d’attente comprend déjà 34 noms, soit deux fois plus que le nombre de logements disponibles.

« On a remarqué voilà quelques années qu’il manquait de logements adaptés pour les personnes sourdes et malentendantes, explique Jean-Pierre Brind’Amour, un bénévole impliqué de près dans ce projet avec L’ADOO. Beaucoup de personnes sourdes ont des difficultés financières et sont isolées au sein de même de leur communauté. On a été voir ce qui s’était fait à Montréal. Et est né ce projet pour leur procurer un environnement sécuritaire et agréable. »

Il a toutefois fallu convaincre bien du monde pour en arriver à une première pelletée de terre. La surdité a beau être vieille comme le monde, elle fait l’objet de préjugés tenaces. « C’est un handicap invisible, contrairement à quelqu’un qui se promène en fauteuil roulant ou avec une canne », avance M. Brind’Amour.

Michel ne compte plus les fois où il s’est fait regarder de travers parce qu’il mettait du temps à se faire comprendre d’un employé au guichet ou d’un serveur au restaurant. À la clinique, il a dû attendre une heure de plus parce qu’il a manqué le moment où son nom a été appelé à l’interphone.

« Pour eux, c’est une frustration quotidienne, explique Brenda Rocha, directrice de l’ADOO. Je suis mexicaine, et je sais ce que peut représenter la barrière de la langue quand on arrive dans un nouveau pays. Imaginez ce que c’est d’être dans votre propre pays, et d’avoir néanmoins toujours besoin de quelqu’un pour vous aider à communiquer avec les autres. »

Le financement demeure toutefois un défi. Le temps perdu depuis quatre ans à résoudre des embûches a fait augmenter les coûts à 5,3 millions, au-delà des prévisions. La Société de l’habitation du Québec et la Ville de Gatineau couvriront 30 % de la facture. L’ADOO doit assumer presque tout le reste, dont une hypothèque de 700 000 $. Une somme considérable pour un organisme qui ne roule pas sur l’or. « Oui nous sommes audacieux. Il faut croire en ses rêves », dit M. Brind’Amour.

En attendant, Michel vit d’espérance.

Cette maison des sourds, c’est l’espoir de s’arracher à une vie frustrante, lui qui vit de l’aide sociale et doit compter sur sa sœur pour se faire comprendre de son propriétaire, d’un serveur au restaurant ou d’un médecin.

Dans le petit local où se déroule notre entrevue est affiché un schéma de la maison des sourds. D’un doigt frénétique, Michel me pointe un logement avec balcon à l’étage du joli édifice. Je n’ai pas eu besoin de l’interprète pour comprendre. C’est ce logement que Michel convoite une fois l’immeuble achevé, l’automne prochain.

Je lève le pouce pour lui signifier que j’ai compris. Michel comprend que j’ai compris, et lève le pouce à son tour. Comme quoi il y a toujours moyen de se comprendre entre gens de bonne volonté.

Source : LeDroit

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