ENTRETIEN AVEC ARNAUD BALARD - CRÉATEUR DU DRAPEAU INTERNATIONAL DES SOURDS

ENTRETIEN AVEC ARNAUD BALARD

ARTICLE DE DE JIMMY SWAELENS, RWANDA

Salut Jimmy,

Je suis content que tu aies rencontré des sourds-aveugles au Rwanda. C'est une belle initiative de ta part. Je pense que tu devrais poursuivre ton projet d'ouvrir une Ambassade des signes à Kigali. Ce serait un lieu d'accueil universel, où les sourds, les sourds-aveugles, les entendants, les enfants, les adultes, pourraient apprendre, échanger, se divertir, en utilisant la langue des signes rwandaise (LSR). Ce serait une façon de créer du lien, de la fraternité, de l'ouverture, entre les différentes personnes qui composent la société rwandaise. Ce serait aussi une façon de valoriser la LSR, comme une langue à part entière, riche, expressive, créative. Ce serait enfin une façon de préparer l'avenir, en imaginant une société qui puisse utiliser à la fois les différents modes de communication et de pensée (vocal, gestuel, tactile, musical, etc.).

Pour que ton projet réussisse, je te conseille de t'inspirer de l'histoire de l'IVT, l'International Visual Theatre, qui a été créé en France dans les années 1970 par un sourd américain, un interprète en ASL et un autre entendant signant. Ils avaient créé un théâtre, mais aussi un centre de formation, où ils enseignaient la LSF, créaient des dictionnaires, organisaient des conférences, etc. C'était le point de départ du fameux "Réveil Sourd", qui a permis aux sourds de France de revendiquer leurs droits, leur identité, leur culture.

Mais ils avaient peut-être commis quelques erreurs de stratégie à long terme, en se focalisant trop sur les sourds (donc uniquement voyants), en ne favorisant pas le regroupement d'autres personnes signantes ou pouvant signer (sourds malvoyants, sourds-aveugles, CODA, entendants dysphasiques, muets, etc.). Et aussi en ne s'ouvrant pas assez aux familles de toutes ces personnes, ou aux entendants comme toi, qui sont intéressés par la langue des signes et la culture sourde.

Donc, si tu veux éviter ces écueils, je te suggère de dire d'emblée "Ambassade des signes", comme tu me l'avais dit. Et de ne pas faire de distinction entre les sourds, les sourds-aveugles, les entendants, etc. Mais de les considérer tous comme des signeurs, des personnes qui partagent la même langue, la même passion, la même vision du monde.

Pour le budget, ne pense pas tout de suite à la location. Pense plutôt à sensibiliser les autorités, les médias, les entreprises, qui pourraient te prêter gracieusement des locaux, du matériel, de l'argent, etc. Il te faut jouer beaucoup du réseau, faire connaître ton projet, le rendre attractif, convaincant, innovant.

Avant tout, tu dois te trouver une petite équipe ultra-motivée, avec qui tu vas porter ce projet. Un sourd, un sourd-aveugle, un CODA, un ou plusieurs entendants de différents horizons, etc. Ne compte pas uniquement sur des sourds. Sinon ils prendraient le pouvoir, tout en excluant peu à peu les "non-sourds", comme c'est le cas en France.